« Nous n’avons pas la prĂ©tention de pouvoir tout rĂ©gler dans un espace aussi considĂ©rable, mais nous avons la prĂ©tention de rĂ©pondre Ă  tous les coups et de dissuader les pirates de s’en prendre en particulier aux navires europĂ©ens »*, a dĂ©clarĂ© François Fillon, lors d’une visite en rade de Toulon aux commandos français qui devaient rallier le golfe d’Aden et participer Ă  Atalante, la mission de dissuasion, de protection et d’intervention menĂ©e par l’Europe pour enrayer la piraterie. La cause est juste, puisqu’il s’agit de dĂ©fendre les intĂ©rĂªts et les ressortissants europĂ©ens. Mais dĂ©fendre ces intĂ©rĂªts contre qui, contre quoi ? Contre de malheureux hommes, nĂ©s dans un des pays les plus pauvres qui soit, minĂ© par une guerre interminable. Des hommes qui ont dĂ©cidĂ© de prendre la mer pour s’emparer de navires qui croisent, par centaines chaque jour, au large de leur terre maudite. PĂ©troliers, chimiquiers, cargos, porte-conteneurs, tout ce qui peut flotter relie en effet quotidiennement l’Europe au Proche-Orient et Ă  l’Asie. Passe encore que les Somaliens aient en permanence face Ă  eux, sur l’autre rive du golfe, des puissances pĂ©trolières parmi les plus riches du monde… Mais qu’ils doivent en plus assister, en spectateurs impuissants, aux va-et-vient incessants de « supermarchĂ©s » flottants, c’est peut-Ăªtre un peu trop. « Nous ne pouvons pas tolĂ©rer que les pirates, mus par leur seule aviditĂ©, menacent les approvisionnements de l’Europe »*, a cru bon d’ajouter notre Premier ministre. Leur seule avidité…

A toute chose malheur est bon…
Mais qu’adviendra-t-il si tous ces crève-la-faim, Somaliens ou autres, multiplient les attaques, s’ils arraisonnent, dĂ©tournent, confisquent ou dĂ©truisent pĂ©troliers et autres cargos venus de Chine ? Les compagnies d’assurance continueront-elles Ă  couvrir indĂ©finiment les risques encourus par les bateaux et leurs cargaisons ? Toutes les entreprises qui ont choisi de dĂ©localiser en Asie – aviditĂ© ? quelle aviditĂ© ? – pourront-elles continuer Ă  faire rapatrier leurs camelotes de l’autre bout de la planète sans finalement y laisser quelques plumes ? « A toute chose malheur est bon », a-t-on coutume de dire… Ainsi, alors que la crise s’installe, la consommation de pĂ©trole diminue et avec elle la pollution. Sans le sou, les consommateurs occidentaux dĂ©pensent moins. Partout la rĂ©cession est lĂ , qui met un frein salutaire au consumĂ©risme. Alors peut-Ăªtre les pirates Somaliens provoqueront-ils malgrĂ© eux un ralentissement des dĂ©localisations outre-mer. Et pour la Tunisie, la Roumanie, la Bulgarie ou l’Ukraine ? Faudra-t-il attendre que tous les misĂ©reux de ces nouveaux eldorados Ă  bas coĂ»ts attaquent eux aussi cargos, trains et autres camions chargĂ©s de marchandises ? Faudra-t-il attendre en quelque sorte le retour des bandits de grands chemins et de leur menaçant « La bourse ou la vie !», pour que tout rentre dans l’ordre, pour que le monde cesse de marcher sur la tĂªte ? On peut toujours rĂªver…

* AFP, le 1-12-08