On le sait, on l’entend suffisamment à la radio, on le lit tout autant dans la presse : les délocalisations sont aujourd’hui inévitables. Elles sont même profitables selon certains, car si elles détruisent « quelques » emplois ici, elles permettent en effet d’en préserver, voire d’en créer beaucoup plus. Peut-être. Mais tout le monde ne semble par partager ce point de vue…
Pour monsieur P., qui dirige une PME du textile de la région Rhône-Alpes, la chose est entendue. Alors que nous lui demandions si, comme le laisse entendre la présentation de son entreprise sur son site Internet, il était parvenu à maintenir la fabrication de ses vêtements en France, il nous avoue que malheureusement non, tout a dû être été délocalisé, il y a plus de dix ans maintenant. « Nous sommes allés plusieurs fois en Tunisie avant de décider d’y installer une usine, se souvient-il. Une fois opérée, cette délocalisation nous a permis de préserver une quarantaine d’emplois ici, en France, alors que sans elle, c’était la fermeture pure et simple. » Avec les charges, les 35 heures, « qui ont encore compliqué les choses », il est devenu, selon ce chef d’entreprise, impossible de lutter contre les grandes enseignes : « Elles vendent à des prix inférieurs à ceux auxquels nous achetons. Comment faire ? », se demande-t-il. Car au final, M. P. ne fabrique plus. Après avoir fermé son usine tunisienne, « qui n’était plus concurrentielle », il a décidé d’acheter tout simplement en Asie pour revendre en France. Son entreprise ne compte plus que treize salariés dans l’Hexagone. « Nombre de dirigeants de la région me demandent souvent pourquoi je garde autant d’employés alors que trois suffiraient largement, ce qui permettrait d’améliorer mes marges. La majorité de mes homologues se posent moins de question. Et je vous assure qu’ils ne roulent pas dans la même voiture que moi! Mais je n’y arrive pas. Je suis un ancien employé, je ne suis pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche… »
Bonne volonté manifeste, fibre sociale, ce « petit patron » ne ressemble pas à ceux qui n’hésitent pas à déménager les machines de leur usine pendant la nuit, lorsque les salariés sont chez eux. Et pourtant, il n’est pas parvenu à éviter la délocalisation. Alors que faire ?

« Produire à l’économie, ça ne pardonnerait pas… »
Quitter la montagne et rallier la mer, par exemple. Guy Cotten est une entreprise qui fabrique des vêtements marins, en Bretagne. Mais les cirés, vestes de quart, polaires, blousons et autres bottes sont-ils réellement fabriqués en Bretagne ? « Absolument, confirme Guy Cotten, celui qui créa l’entreprise et lui donna son nom, il y a plus de quarante ans. Tout est fabriqué ici, dans nos usines de Tregunc et de Riec. A part des t-shirts en coton, confectionnés à Madagascar. On a un petit atelier là-bas, et on a pensé que ce serait une bonne chose d’écouler leur production ici, en France, sous notre marque… » Guy Cotten n’est pas la seule entreprise textile de la région à ne pas avoir délocalisé sa production. Les bienfaits du climat, sans doute… « Les entreprises du coin ont souvent choisi des niches et elles s’y tiennent. Elles produisent des articles classiques, de très bonne qualité, qu’elles vendent donc assez cher. Il ne sert à rien de lutter contre les produits chinois, d’essayer de s’aligner, sinon c’est la mort assurée. Si on avait délocalisé, nous n’aurions plus de clients aujourd’hui. On ne peut pas se permettre de vendre à des marins et à des pêcheurs des produits fabriqués à l’économie. Ça ne pardonnerait pas. Il faut au contraire continuer à innover, à aller de l’avant, même si nos prix sont plus élevés », explique Guy Cotten. Et cela semble porter ses fruits. « Nous sommes sur le point de pénétrer les marchés australien et norvégien, qui nous étaient restés fermés jusqu’à présent, malgré de nombreuses tentatives. Cette fois, on même venu nous chercher ! » Et pourquoi donc ? « Les fabricants locaux, qui occupaient le marché et nous interdisaient de fait d’y accéder, ont choisi de transférer leur production dans des pays à bas coûts. Résultat, leurs produits, tout en étant vendus le même prix, sont de moins bonne qualité. Et ça, une clientèle fidèle ne le pardonne pas… »
Malheureusement, en Bretagne comme partout, la crise économique est là. Comment l’entreprise Guy Cotten y fait-elle face ? « On fait des économies, sur la communication et la publicité en particulier, pas sur l’emploi. Mais à cet égard, il faut dire qu’on a de la chance : il suffit qu’un navigateur qu’on équipe sur le Vendée Globe passe à la télé, et ça nous fait la meilleure publicité qui soit ! »