La vie des régions, des villages français dépend pour beaucoup de l’activité économique, des entreprises, des emplois qui s’y trouvent. Elle dépend aussi des services publiques, qu’il s’agisse de l’école, des transports ou de La Poste. Aussi faut-il « donner à La Poste les moyens de se développer», martèle Jean-Paul Bailly, le président du groupe La Poste. Selon son analyse, seuls le changement de statut, puis l’ouverture du capital puis encore l’entrée en Bourse peuvent permettre à l’entreprise d’honorer ses missions de service publique et de faire face à la   concurrence à venir… Il faut des sous, sinon, c’est la mort assurée. Voilà résumés brièvement les arguments de la direction de La Poste et de tous ceux qui prônent la privatisation – qui à les entendre n’en est pas une – de La Poste. Soit…
Il faut s’ouvrir donc au privé pour être plus fort, pour faire face à d’éventuels concurrents étrangers, et ce d’autant que les grandes manœuvres ont déjà commencé. La Poste ne doit surtout pas rester à la traîne. Les postes suédoise, danoise, allemande, belge, hollandaise, etc., ont ainsi déjà toutes changé de statut. Et depuis, elles vont beaucoup mieux. Elles vont tellement bien qu’elles s’assemblent, se réunissent, se rachètent, se concentrent, etc. Bref l’économie comme on l’aime, faite de fusions-acquisitions, de restructurations, de raids éclairs et, au passage, de confortables commissions pour les banques. L’aventure, la conquête, la puissance… Un rêve de manager quoi. Plus palpitant que la gestion quotidienne des CCP de retraités, c’est sûr. La nouvelle puissance financière de ces postes des temps modernes les protégerait en plus des prédateurs… Bien sûr. Alors pourquoi la poste belge est-elle passée sous pavillon danois? Pourquoi la poste danoise s’apprête-t-elle a fusionner avec avec celle de son voisin suédois? Pourquoi la poste hollandaise aiguise-t-elle les appétits de plus gros qu’elle, qu’il s’agisse de Fedex ou de DHL, propriété de la poste allemande. Et demain, si Fedex mettait la main sur les postiers bataves, quels soucis ses actionnaires, sexagénaires américains par exemple, auraient-ils de la distribution du courrier dans les campagnes hollandaises alors que seule une rentabilité maximale peut garantir leur retraite? Et pourquoi La Poste française, une fois mise sur le marché, sera-t-elle protégée de ce genre de manœuvres? Parce que notre belle constitution a tout prévu, nous répond-on. Les précédents de France Télécom et de Gaz de France sont là pour relativiser sérieusement la valeur de cet argument. Si l’Etat français a besoin d’argent frais, il saura à nouveau changer les règles pour pouvoir vendre ses billes dans l’entreprise.

Pas si mal pour une entreprise sans moyens
Et puis que dire de La Banque Postale ? Elle doit  se muscler, élargir son offre, disposer des mêmes armes que ses rivales. Elle doit pour cela se débarrasser des entraves de son statut actuel. Pourtant, une enquête parue dans le dernier numéro du Revenu montre que La Banque Postale dispose de toutes les armes nécessaires à son développement. Elle n’est pas handicapée, loin s’en faut. Ainsi arrive-t-elle devant toutes les autres banques selon des critères comme la qualité de service, la Bourse et les Sicav, l’Assurance-vie, etc. Mieux : pour ce qui est des des prêts immobiliers, La Banque Postale est le seul établissement bancaire à ne pas restreindre leur commercialisation. Pourquoi? Parce que les finances de La Banque Postale sont saines, parce que les liquidités abondent et qu’elle n’a pas besoin d’emprunter à d’autres qui, spéculation et subprimes oblige, n’ont d’ailleurs plus grand-chose à prêter ! Le président de La Poste évalue pourtant à 2,5 ou 3 milliards d’euros les besoins de l’entreprise pour grandir, somme qu’elle ne possède pas. Il met en avant la nécessité de préserver l’intégrité de son Groupe pour que les activités qui gagnent de l’argent « compensent» celles qui en gagent moins, le courrier en particulier. Hors de question de vendre une activité pour en financer une autre. Noble intention. Imaginons maintenant que cette privatisation-qui-n’en-est-pas-une ait déjà eu lieu. De combien La Poste aurait-elle besoin aujourd’hui si un trader ambitieux avait eu toute latitude pour s’amuser avec les maigres économies des Français les plus modestes, et qu’au final La Banque Postale ait perdu quelque 5 milliards d’euros, comme la vertueuse et si bien gérée Société Générale ?