Dangereux précédent pour les « délocaliseurs » de tout poil ou bonne nouvelle pour tous les délocalisés ? La société Aréna devra verser 4,8 millions d’euros à 96 ex-employées, au motif que les justifications présentées par la direction – diminution des coûts de production, augmentation des marges grâce au transfert de l’activité dans un pays à bas coût – n’étaient suffisantes pour justifier un licenciement. Rappelons que la société Aréna, fabricant de maillots de bains, avait décidé l’année passée de fermer son site de production en France pour le transférer en Chine. En clair, le tribunal des Prud’hommes de Libourne précise que ce n’est pas parce qu’un patron décide que ses salariés sont top chers, trop vieux, trop lents, trop moches, bref trop nuls par rapport à leur équivalent chinois qu’il a le droit de les jeter à la porte. Si elle était confirmée en appel, cette décision ferait peut-être réfléchir, à l’avenir, tous ceux qui n’ont d’yeux que pour leur calculette, leur bilan, ou n’importe quel autre indicateur à la mode. Pour justifier la fermeture, la direction invoquera à n’en pas douter, si elle fait appel, la fragilité d’Aréna, la concurrence étrangère, bref, toujours la même antienne, resservie jusqu’à plus soif. Mais que penser alors de la fermeture, en début d’année, de l’usine ECCE de Poix-du-Nord ? La aussi la fragilité de l’entreprise est brandie. Mais dans ce cas précis, à quoi était due, cette fragilité ? Au diktat d’un seul client, en l’occurrence LVMH, qui acceptait de renouveler le contrat de fabrication des costumes Kenzo par ECCE à condition que celle-ci en délocalise la production en Europe de l’Est. Là aussi, les salariés de Poix-du-Nord étaient trop nuls, mais cette fois comparés à leurs homologues polonais ou roumains.

Que des miettes pour les actionnaires…
A raison de 110 euros le costume — le prix de revient est d’environ 30 euros à l’Est – pour un prix de vente public de 1000 euros, soit le salaire mensuel des « gueux » mis à la porte, il est vrai qu’il ne restait aux actionnaires que des miettes à se mettre sous la dent ! Bernard Arnault – première fortune de France – et compagnie auront-ils l’indécence de prétendre que cette malheureuse usine du Nord mettait en danger la santé financière du numéro 1 mondial du luxe ?
Tous les chefs d’entreprise ne sont heureusement pas faits du même bois. Mais ce sont ces « capitaines » d’industrie, ces « aventuriers des temps modernes » comme les appellent sans rire leur plus fervents admirateurs, qui tiennent le haut du pavé, qui font la Une des journaux. Les autres n’intéressent personne, sauf à commettre quelque acte digne d’émouvoir les foules. On se souvient ainsi de Pierre Jallatte, père de l’entreprise du même nom, qui préféra l’an dernier mettre fin à ses jours plutôt que voir l’entreprise qu’il a bâtie délocalisée en Tunisie par les nouveaux propriétaires. On peut également citer André Faller, fondateur de l’entreprise de prêt-à-porter Karting – également de la marque de lingerie de Lou –, décédé en juillet dernier et qui, peut-être en guise de reconnaissance, légua la moitié de sa fortune à ses anciens employés. Karting est encore, aujourd’hui, une des rares entreprises d’habillement à fabriquer en France. Mais pour combien de temps, maintenant que le « vieux » est parti et qu’il n’y a pas d’héritier ?
Question de générations peut-être, ou d’hommes, simplement. Quoi qu’on en dise, l’économie, les affaires, les entreprises sont avant tout une question de priorités, de choix, faits par des hommes, selon leur personnalité, leur humanité. Aréna et ECCE Poix-du-Nord gagnaient de l’argent, mais pas assez. Dans de telles circonstances, les histoires de concurrence et de mondialisation ne sont, bien souvent, que des balivernes pour amuser la galerie, abuser les naïfs et donner bonne conscience aux affidés de ceux qui tirent les ficelles.