Pour aider le vulcum pecus Ă  saisir les fondamentaux de la gestion d’entreprise, ceux qui savent prennent souvent une image simple, accessible au plus grand nombre : « Le budget d’une entreprise, c’est comme celui d’un foyer ; il est impossible de dĂ©penser plus qu’on ne gagne ». Ce sont les mĂªmes qui, d’ordinaire, expliquent Ă©galement que gĂ©rer un Etat, c’est comme gĂ©rer une entreprise, ce pour les mĂªmes raisons.
Si l’on se fie Ă  leur diagnostic, il est aussi simple — ou aussi compliquĂ©, tout dĂ©pend des revenus — d’Ă©quilibrer le budget d’un Etat et celui d’une famille. Les impĂ©ratifs sont les mĂªmes, les règles aussi, les marges de manÅ“uvre Ă©galement. A cet Ă©gard, qu’entend-on par marge ? Si l’on laisse de cĂ´tĂ© « l’espace blanc autour du texte Ă©crit ou imprimé », le Petit Robert donne Ă  ce mot la dĂ©finition suivante : « Intervalle d’espace ou de temps, latitude dont on dispose entre certaines limites ». Il prĂ©cise ensuite : « PossibilitĂ© d’action entre une limite pratique et une limite thĂ©orique, absolue ». La marge est donc un espace au sein duquel il est possible d’agir, de jouer. C’est clairement ce que l’on appelle « une marge de manÅ“uvre ».
Or, il semble qu’aujourd’hui les marges qui rĂ©pondent Ă  cette acception aient disparu. De marges souples, ajustables, nous sommes dĂ©sormais passĂ©s Ă  des donnĂ©es fixes, intouchables, incompressibles… Ainsi, comme on peut l’entendre chaque jour Ă  la radio, telle ou telle entreprise est contrainte de licencier tant de salariĂ©s, pour prĂ©server ses marges. Celles-ci, qu’elles soient opĂ©rationnelle, bĂ©nĂ©ficiaire ou autres, ne sont plus des variables ajustables selon le contexte Ă©conomique, mais des objectifs chiffrĂ©s qui, une fois Ă©tablis, sont gravĂ©s dans le marbre, quand bien mĂªme les conditions Ă©conomiques ultĂ©rieures changeraient du tout au tout. Si ajustement il doit y avoir ensuite, il doit donc se faire ailleurs, le plus souvent sur les hommes et les femmes de l’entreprise. D’ailleurs, peut-Ăªtre Ă  l’avenir ne parlerons-nous plus de 350 salariĂ©s, par exemple, mais plus simplement d’un indice 350 de marge, sur lequel il est possible d’agir pour prĂ©server tout le reste. Ou pourquoi pas de 350 marginaux ?

Le jeĂ»ne ou la forĂªt
Imaginons Ă  prĂ©sent ce que doit vivre, après chaque conseil d’administration, le foyer d’un de ceux qui gèrent entreprise et foyer de la mĂªme façon. Campant sur ses principes, il est en effet frĂ©quent que ce chef de famille explique Ă  ses enfants que, pour prĂ©server la place de cette famille, pour ne pas hypothĂ©quer le rang qui est le sien dans le quartier, pour ne pas risquer de perdre relations, amis et soutiens, en un un pour qu’elle reste concurrentielle, il est indispensable de changer la voiture et d’agrandir la terrasse, et ce mĂªme si l’heure des vaches maigres a sonnĂ©. Que la conversion en lingots ou en obligations du portefeuille d’actions dĂ©prĂ©ciĂ©es est tout aussi impĂ©ratif et qu’elle ne souffre aucune attente. Et que de toute façon ces investissements Ă©tant inscrits de longue date dans le budget prĂ©visionnel de la maison — mĂªme si, il faut le reconnaĂ®tre, la chute de la Bourse n’a pas Ă©tĂ© anticipĂ©e comme elle l’aurait dû— , il est impossible de s’y soustraire. La seule solution pour ne pas remettre en cause l’avenir Ă  long terme de la famille est donc de jouer sur d’autres leviers, en l’occurrence l’alimentation. A compter de ce jour, les trois enfants, Ă¢gĂ©s de respectivement 7 ans, 4 ans et 9 mois, devront se contenter d’un repas quotidien. Cette dĂ©cision, qui l’on s’en doute n’est pas prise de gaietĂ© de cÅ“ur, est un moindre mal. Que vaut-il mieux en effet ? JeĂ»ner aujourd’hui ou finir, demain, abandonnĂ©s en forĂªt ? La vie n’est pas un long fleuve tranquille et des mesures douloureuses doivent parfois Ăªtre prises, mĂªme Ă  la maison…
Cet aspect mĂ©connu du quotidien de ceux qu’il est si facile d’attaquer est le plus souvent ignorĂ©. Gageons que si salariĂ©s et chĂ´meurs en avaient connaissance, ils tairaient pour la plupart leurs revendications Ă©goĂ¯stes.