Je ne ferai donc pas carrière. Je n’ai jamais travaillé à l’étranger ! C’est en tout cas ce que j’ai compris à l’écoute d’un reportage diffusé sur France Inter : il faut désormais impérativement avoir une expérience abroad sur son CV pour ne pas rester un pauvre loser franchouillard toute sa vie. Après la délocalisation de la majorité des productions industrielles, les dirigeants d’entreprise, les responsables de grandes écoles et ceux de certains organismes publics organisent donc la délocalisation de nos cerveaux. Par « cerveaux », il faut pour l’essentiel entendre celles et ceux qui sont bien nés, qui ont toujours bien fait leurs devoirs, sans jamais faire de vagues.
Aujourd’hui donc, il ne suffit plus de suivre les formations que les entreprises exigent que l’on suive, à savoir des études de commerce ou d’ingénieur, encore faut-il impérativement passer quelques années à l’étranger. Comme le rappel ce responsable d’HEC, « un CV sans expérience à l’étranger peut rapidement s’avérer un handicap rédhibitoire. Un recruteur risque de craindre une certaine étroitesse d’esprit par rapport à un marché européanisé et mondialisé ». Réaction qui bien sûr n’est absolument pas le symptôme d’une « certaine étroitesse d’esprit » !

Mais que ce passe-t-il donc là-bas ?
Cela dit, il faut comprendre les recruteurs de ces grandes — et moins grandes — entreprises. Nombre d’entre elles ont en effet implanté des filiales à l’étranger, quand elles n’y ont pas transféré la totalité de leur production. Et lorsque ce transfert se fait dans un lointain pays à bas coût — si vous connaissez des délocalisations vers des pays riches, n’hésitez pas à nous les signaler… —, contrôler ce qui s’y passe est bien compliqué. Ainsi, un cadre d’une grosse PME bourguignonne qui dispose d’une filiale en Chine nous avouait récemment ne pas du tout savoir ce qui se passait dans cette antenne lointaine… Aussi, envoyer quelque temps un jeune « crack » français mettre un peu d’ordre et surveiller ce qui se passe à des milliers de kilomètres, c’est bien pratique. Et puis, puisque faute d’entreprises il y a de moins en moins de travail en France, même pour des diplômés, exporter quelques jeunes sous d’autres latitudes ne peut pas faire de mal aux statistiques. Si la France devient lentement une terre d’émigration — et même si cela est présenté sous lejour valorisant de l’expérience et de l’ouverture d’esprit —, elle reste également un pays d’immigration. Ainsi, le gouvernement organise l’immigration choisie, celle qui demain permettra aux entreprises françaises d’embaucher dans l’Hexagone une main-d’œuvre qualifiée, diplômée, venue des pays du Sud, d’Afrique notamment. Des jeunes diplômés aussi compétents que les Français partis se faire les dents en Asie ou ailleurs, mais beaucoup moins gourmands en termes de salaire. Des diplômés qui formeront demain un contingent analogue à celui des innombrables médecins venus d’ailleurs qui, mal payés et sans statut, accueillent et soignent chaque jour les Français malades ou blessés qui affluent dans les services d’urgence.
Il n’y a pas de petites économies…