« Je lance un appel aux marques de luxe pour défendre le savoir-faire français. » Cet appel est celui d’Agnès Troublé, la fondatrice et dirigeante d’Agnès b. Cette styliste et chef d’entreprise a en effet toute légitimité pour défendre la fabrication française. Contrairement à la très grande majorité de ses concurrents, Agnès b. propose encore une grande partie de produits made in France dans ses collections. Certes, ceux qui connaissent bien cette marque savent que la proportion de produits français est moins importante qu’elle ne l’était auparavant. Mais pour Agnès Trouvé, il ne s’agit pas d’un changement de politique, qui s’effectuerait au profit des pays à bas coûts : « Nous sommes le premier donneur d’ordre français dans la mode. Depuis la création du groupe en 1979, je me suis engagée à faire fabriquer en France. Aujourd’hui, selon les collections, près de 50 % de notre production sont réalisés dans l’Hexagone (…) ». Une proportion qui risque malheureusement de diminuer encore si la tendance reste ce qu’elle est aujourd’hui : « En trente ans, nous avons perdu la moitié [de nos fournisseurs]. (…) J’ai envoyé un courrier il y a un an à Christine Lagarde pour l’alerter sur la situation de ces fabricants, qui empire. (…) Mais force est de constater que nos partenaires disparaissent les uns après les autres, et avec eux, des savoir-faire. »*
Dans le textile comme dans les autres secteurs d’activité, les mots des chefs d’entreprises sont généralement pesés et si attaques il y a, elles sont feutrées. Aussi les mots d’Agnès Troublé quant à certaines maisons de luxe sont-ils inhabituels : « Les maisons de luxe qui gagnent beaucoup d’argent doivent elles aussi produire plus en France. Je leur lance un appel. La responsabilité collective de défendre le savoir-faire français leur incombe. Certaines marques font faire des prototypes par des ateliers français et n’hésitent pas à confier ensuite la production à l’étranger. C’est immoral. Il faut respecter ses fournisseurs. C’est une question d’éthique. »
Mais comme chacun sait, éthique et très gros sous font rarement bon ménage. En dehors de Vuitton, Chanel et Hermès, qui privilégient encore la production française, les autres grandes maisons prétendument françaises produisent rarement dans l’Hexagone. Et dans leur cas, ce ne sont certainement pas leurs prix de vente serrés qui justifient le recours à des coûts de production réduits au minimum !
« Il ne faut pas tromper le consommateur, avertit Agnès Troublé. Si un jour, il a l’impression qu’on le gruge, sa réaction sera terrible. » Et le consommateur n’a pas l’impression, mais la certitude d’être grugé. Comment pourrait-il en effet payer le prix fort sans grimacer pour des articles de marque fabriqués ailleurs pour trois fois rien ? Surtout lorsque la recherche des bas coûts se fait au détriment de l’emploi, des savoir-faire et de l’environnement, et qu’elle justifie, compétitivité oblige, la pression à la baisse les salaires payés dans l’Hexagone ?
Agnès Troublé appelle de ses vœux la création d’un« label 100 % production locale ». Elle estime aussi que « si on obligeait les marques à fabriquer en partie en France, cela permettrait de baisser les coûts de production. » Cette chef d’entreprise atypique risque de ne pas se faire que des amis… Pourtant, l’obligation faite aux entreprises de produire en France serait certainement la mesure qui redynamiserait le mieux tout le tissu industriel de nos régions.
Quant au label local, il existe déjà : il est partenaire de la Fabrique hexagonale… Vous en saurez plus très prochainement.

* Les citations sont extraites de l’article des Echos paru le 31 mars 2010.