Au sud de la Loire il y avait Romans, au nord Fougères. Que reste-t-il aujourd’hui de ces deux capitales françaises de la chaussure ? Quelques irréductibles, dont Delage, à Fougères. Ce petit bijou, qui fête cette année ses vingt ans, est un des tout derniers représentants de la chaussure de luxe pour femme de fabrication française. La seule boutique de Delage se trouve à Paris, rue de Valois, sous les arcades des jardins du Palais Royal. Un petit écrin où sont présentés notamment des modèles en requin, en autruche, en crocodile ou en galuchat, cette peau de raie si difficile à travailler. Les cuirs exotiques sont en effet, avec le très large choix de couleurs, la grande spécialité de l’entreprise. Il faut deux peaux — découpées exclusivement à la main, dans le sens des fibres — et soixante opérations pour fabriquer une paire d’escarpins. Quatre peaux sont nécessaires pour des bottes. En moyenne, une paire de chaussures exige deux journées de travail.
L’atelier de Fougères, situé à dix kilomètres de la ville, emploie aujourd’hui onze personnes, après en avoir compté cinquante en 1998. A cette époque — pas si lointaine —,  juste avant que Chanel ne décide de faire fabriquer par d’autres ses collections, l’atelier produisait plus de 40 000 paires par an. La production est aujourd’hui de 1500 paires. Parmi elles, certaines portent d’autres griffes, comme celle de Christian Louboutin. L’atelier travaille en effet pour quelques grands noms de la mode qui, bien que représentant « le luxe à la française », font pour l’essentiel fabriquer à l’étranger.
Malgré son unique point de vente, 60% du chiffre d’affaires de la précieuse petite maison bretonne sont réalisés grâce aux élégantes étrangères, en particulier américaines, anglaises et japonaises. Ces clientes apprécient la qualité, l’écoute et le service — large personnalisation, entretien des chaussures une fois achetées —, mais aussi l’exclusivité et l’originalité. Delage est en effet l’anti-publicité, l’anti-marketing. L’entreprise communique très peu, sa renommée se faisant de la bouche à l’oreille. Un corner a tout de même été récemment ouvert à New York, chez Yuta Powell, sur Madison Avenue. Mais Lauren Bacall n’avait pas attendu cette ouverture américaine pour chausser des Delage. Pas plus que Catherine Deneuve, Jane Birkin ou Valérie Lemercier, clientes elles aussi de la boutique de la rue de Valois…

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