© La Fabrique hexagonale

En choisissant de se fournir dans les pays à bas coûts pour augmenter leurs marges, des chefs d’entreprise ont brisé un fragile équilibre. Celui de la communauté, de la vie en société. Pour continuer à vendre leurs produits, d’autres ont incité leurs sous-traitants à délocaliser, les menaçant de changer de fournisseurs s’ils n’obtempéraient pas. D’autres encore, qui eux disposaient de leur propre outil de production, ont suivi le mouvement et fermé leurs usines en France. Et puis il y a la petite minorité d’entrepreneurs qui sont restés fidèles à l’Hexagone, qui ont continué de travailler avec leurs fournisseurs habituels, qui ont conservé intacts leurs sites de production. Au final, le tissu industriel s’est considérablement réduit et, même en soutenant le made in France, il est désormais fréquemment impossible de produire dans nos frontières. Comment font alors ceux qui arrivent aujourd’hui sur le marché, qui sont animés des meilleures intentions et qui recherchent coûte que coûte à produire en France ? Le plus grand nombre jette l’éponge, les plus motivés finissent pas monter leur propre atelier.
Pendant ce temps, alors lors que le désert industriel avance, les affaires continuent. Il y a encore de l’argent à se faire, encore des salariés à licencier. Le saccage n’est pas tout à fait terminé.

Décourager les clients, vider les carnets de commandes
Lors du dernier salon Maison & Objet, un éditeur reconnu d’accessoires de mode et d’intérieur, fervent défenseur de la fabrication française, nous expliquait ainsi : « Nous avons reçu un jour un fax d’un de nos fabricants, récemment racheté, avec lequel nous travaillions très bien depuis de nombreuses années. Celui-ci nous annonçait, non pas au téléphone ni par courrier, mais bien par fax, que ses tarifs augmentaient de 70 %. Impossible pour nous d’accepter. Le lendemain, deuxième fax pour nous rassurer : on pouvait, si on le souhaitait, continuer à travailler avec lui, qui plus est à un tarif 20 % inférieur au tarif habituel, la fabrication se faisant alors en Pologne. » Comme le fait remarquer notre interlocuteur, il aurait été possible de conserver les anciens prix et, pour ceux que cela pouvait intéresser, d’en proposer de moins élevés, en Pologne. Mais non. En proposant des tarifs prohibitifs, le nouveau propriétaire de l’entreprise souhaitait décourager les clients, vider les carnets de commandes en France et fermer l’usine. C’est aujourd’hui chose faite et « les anciens salariés, extrêmement compétents et expérimentés », sont désormais sans emploi. Plutôt que céder au chantage du « rapace en col blanc » et de continuer à travailler avec lui, mais en Pologne, notre éditeur choisit de trouver un nouveau partenaire, en France. Les résultats n’ont malheureusement pas été probants — tous les fabricants ne sont pas forcément performants, même en France !— et il doit désormais compter sur une entreprise chinoise pour rattraper les défaillances françaises. Le travail est irréprochable, les délais respectés et les coûts, bien entendu, imbattables…
Dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres — la majorité ? —, ce n’est pas la Chine qui menace l’industrie française. C’est au contraire un homme d’affaires bien de chez nous, tout ce qu’il y a de plus présentable. Un homme d’affaires « qui a réussi », qui grâce au rachat d’une entreprise, à sa fermeture en France puis à sa délocalisation, a simplement fait en sorte d’alimenter son compte en banque. Cela n’a rien de répréhensible, il ne risque aucune poursuite, aucune reconduite à une quelconque frontière, quel que soit le malheur dont il est l’origine.
Aujourd’hui, en France comme dans beaucoup d’autres pays, s’enrichir toujours plus, quelles qu’en soient les conséquences, n’est pas puni. C’est même très fortement encouragé, malgré les discours de façade. C’est le modèle dominant de la réussite sociale. Pour combien de temps encore ?