Dans une tribune publiée le 27 juillet 2011 dans Les Echos, M. Habib-Deloncle, administrateur au Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France, propose de remplacer le made in France par le made by France. Ses arguments ? Cette appellation serait plus « importante en termes d’influence commerciale française, même si son poids statistique est difficile à évaluer ».

 

Marchandises francisées
Considérant le nombre d’entreprises, jadis 100 % françaises, qui ne sont plus pour l’essentiel que des noms et qui n’emploient plus qu’une poignée de salariés dans l’Hexagone, on comprend que si elles avaient demain le droit d’apposer made by France sur leurs marchandises made in China, la quantité de marchandises d’un seul coup francisées s’en trouveraient soudainement démultipliée. Et avec elle donc « l’influence commerciale française »… Les stratèges d’Hermès et de Louis Vuitton, qui ont récemment inauguré de nouveaux sites de production pour répondre à la forte demande asiatique en produits de luxe authentiquement français, n’ont donc rien compris. Ils leur suffisait de délocaliser toute leur production pour ensuite refourguer à prix d’or à des acheteurs locaux — et idiots  — des sacs made by France, en Chine, en Roumanie ou ailleurs…
Selon M. Habib-Deloncle, il « faudrait aussi renforcer les diasporas françaises (qui) sont essentielles pour faire consommer localement des produits venant de France ». De quels produits s’agit-il puisqu’ils ne viendraient plus de France, selon ses propres recommandations, mais seraient produits localement ? Pour ce spécialiste du commerce extérieur, « l’essentiel est de conquérir le client, même si le produit ou service n’est plus entièrement fabriqué chez nous, plutôt que de le voir partir chez le concurrent ». Partant, un automobiliste français est donc tout à fait fondé à préférer une Toyota produite dans le Nord de la France à une Renault turque ou une Peugeot slovaque…

Se rapprocher de ses clients
Alors que la délocalisation est accusée — à tort semble-t-il — de tous les maux, la multilocalisation ne présenterait que des avantages : selon notre expert, cette solution « qui permet à une entreprise d’être proche de ses clients, représente un atout parce qu’elle permet de contribuer à accroître localement la demande de nos produits nationaux. » Il y a malheureusement longtemps que les salariés français d’entreprises « mutilocalisatrices » savent que cette volonté de se rapprocher du client ne s’applique qu’aux pays à bas coûts — dans le cas de pays “riches” en effet, la multilocalisation ne paraît pas accroître « la demande locale de nos produits nationaux ». Ils ont également remarqué que cette localisation multiple n’est bien souvent qu’une première étape, prélude au remplacement progressif de la production hexagonale par celle de l’usine-proche-du-client, prémices à la fermeture pure et simple du site français.

Monde idéal contre monde réel
Dans un monde idéal, la fabrication des produits français très demandés à l’étranger permettrait d’embaucher dans l’Hexagone et de réduire le chômage. Dans le cas d’une solution médiane, la multilocalisation permettrait de conserver les emplois en France — sans en créer de nouveaux — et de multiplier les embauches à l’étranger. Mais dans le monde réel, le monde actuel, les emplois créés ailleurs finissent presque toujours par détruire ceux du pays d’origine*. Au rythme qui est celui du commerce extérieur français, et plus encore si des idées comme celles qu’il préconise sont un jour appliquées, M. l’Administrateur n’aura bientôt plus d’exportations à « administrer ». Tout attaché qu’il est à vouloir étendre l’influence extérieure de notre petit pays, à vouloir produire localement, ailleurs, pour populariser nos produits, il en oublie que produire localement, en France, et y préserver emplois et savoir-faire est essentiel. Au moins ne prétend-il pas que l’implantation d’entreprises françaises dans des pays pauvres répond à une volonté d’améliorer le bien-être économique des populations locales. Mais ce n’est certainement pas davantage pour faire le bonheur de la main-d’œuvre française.

* Lire par exemple « Dans l’Ohio, les emplois volés de Fostoria », paru dans Le Monde Diplomatique de juillet 2011