Pourquoi acheter une voiture française, lorsque l’on est soi-même français, allemande quand on est allemand ou japonaise quand on est japonais? La réponse est en fait dans la question. Les consommateurs achètent le plus souvent les véhicules fabriqués dans leur pays, lorsqu’il en existe. Pas de tel réflexe donc sur les marchés automobiles où ne figurent pas de fabricants nationaux. Voici, par exemple et par ordre décroissant, les parts de marché des dix premiers constructeurs automobiles au Danemark, en 2007 : numéro un Volkswagen, devant Peugeot, Toyota, Ford, Citroën, Opel, Suzuki, Skoda, Fiat et Mercedes, Renault n’arrivant quant à lui qu’au douzième rang (source : De Danske Bilimportører, l’Association des importateurs automobiles au Danemark). Dans ce cas de figure, pas de chauvinisme, mais des critères de choix probablement plus objectifs : la qualité, le design, le prix, l’image de marque, etc. Or, selon ces critères, quels sont les arguments dont les constructeurs français peuvent se prévaloir? Le prix ? Mis à part les Allemandes, les étrangères sont loin d’être plus chères. La qualité? Là aussi, Japonais, Allemands où Coréens n’ont rien à envier aux Français, bien au contraire. Ainsi, alors que ceux-ci arrivent enfin à proposer quelques « garanties trois ans », les Japonais le font depuis des années, les Coréens offrant jusqu’à sept années de garantie sur certains modèles. Le design peut-être ? Ce n’est qu’une histoire de goût, et chacun sait que tous les goûts sont dans la nature. L’innovation alors? Si cet aspect a effectivement été un point fort tricolore, ce n’est plus vrai aujourd’hui. La première mouture de la Twingo était en effet innovante lorsqu’elle est sortie, et même longtemps après. Mais quelles sont les avancées proposées par la deuxième génération, fabriquée en Slovaquie? Pis. Si les constructeurs français ont parfois été en avance, ils sont désormais en retard. PSA a ainsi proposé des voitures électriques, longtemps, trop longtemps avant la hausse du prix des carburants. Personne n’en a voulu. Idem pour les scooters : alors que les deux-roues électriques sont de plus en plus nombreux sur le marché, Peugeot n’en propose plus. Comme on dit, avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure… A contrario, PSA et Renault ont choisi le moment le plus opportun, c’est-à-dire le pic de prix des carburants, pour sortir leur premier 4×4, Toyota et GM décidant quant à eux d’arrêter de produire de gros SUV aux USA. On fait plus clairvoyant.

L’art de la menace
Ces mauvais choix ajoutés à la crise economico-financière actuelle et au transfert progressif de la production des véhicules à l’étranger entraînent des milliers de suppressions d’emplois en France. Plus de la moitié des véhicules Renault et PSA sont déjà construits dans leurs usines à l’étranger. Et ce n’est de toute évidence pas terminé. Renault vient ainsi d’inaugurer sa « Renault Academy Maroc », un centre de formation destiné aux métiers de l’automobile, ainsi qu’un centre de design en Roumanie, qui « contribuera au développement des véhicules destinés à de nombreux marchés du Groupe Renault, et qui interviendra dès le démarrage des projets jusqu’à la maquette ». Ouvriers, commerciaux, designers ou ingénieurs français ont donc quelques soucis à se faire. Christian Streiff, le président du directoire de PSA, a annoncé dans une récente interview au Financial Times, qu’il envisageait la fermeture définitive de sites en France, si nécessaire. Il a même cru bon d’ajouter que ce serait plus simple que pour Renault, qui doit transiger avec l’Etat-actionnaire.
M. Streiff est un spécialiste de la menace : il a ainsi déjà obtenu la suppression des 35 heures dans les usines qui produisent les scooters Peugeot en échange de la production d’un futur nouveau modèle. A défaut d’accord, ce scooter aurait été assemblé en Chine. Idem chez EADS, son éphémère précédent employeur : il avait en effet annoncé qu’il démissionnerait de son poste de P-dg d’Airbus s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait, en l’occurrence plus d’autonomie vis-à-vis de la maison mère. Pas de chance, les dirigeants d’EADS l’ont pris au mot et s’en sont ainsi débarrassé, au bout de trois mois seulement…
Une question alors : pourquoi les consommateurs devraient-ils être plus patriotes que ne le sont les dirigeants des entreprises françaises? S’il est essentiel pour les constructeurs d’être leaders sur leur marché d’origine, encore faut-il le mériter… Pourquoi s’endetter pour acquérir une 207 ou une Twingo, toutes deux fabriquées en Slovaquie? Pour augmenter encore les stock-options de M. Streiff ou les dividendes des actionnaires, pour satisfaire la mégalo de M. Ghosn, le très médiatique patron de Renault ? Pourquoi après tout ne pas privilégier les emplois des ouvriers, des techniciens ou des ingénieurs qui construisent les Toyota Yaris à Valenciennes ou les Smart en Lorraine ?
Peut-être viendra le jour béni où la fonction de « grand-patron » sera elle aussi délocalisée. Après tout, un p-dg roumain – ou indien, ou chinois… – est certainement aussi compétent que son homologue français. Ce qui est sûr en revanche, c’est que son portefeuille et son ego ont toutes les chances d’être incommensurablement moins boursouflés. En attendant, les salariés de PSA et de Renault qui ont la chance de conserver leur emploi doivent prendre leur mal en patience. Ce que n’ont malheureusement pas eu la force de faire une dizaine d’entre eux qui, depuis 2006, ont préféré mettre fin à leurs jours.