On le sait, les délocalisations ont des conséquences douloureuses pour tous ceux qui en sont victimes, à commencer par les salariés des entreprises qui « déménagent ». Alors que certains répertorient et mettent en lumière les marques et les fabricants qui essaient, coûte que coûte, de maintenir leur activité en France, d’autres au contraire ont vocation à aider celles qui choisissent de transférer leur production, ou d’y mettre tout simplement un terme pour s’approvisionner en Asie ou ailleurs. Elles fournissent ainsi tous les renseignements utiles — démarches à accomplir, formalités à remplir, coordonnée d’usines, listing de produits à importer — pour que cette tendance à la désertification industrielle se poursuive, voire s’amplifie, puisqu’il s’agit de leur fond de commerce. Une fois le fournisseur trouvé, il faut ensuite contrôler la qualité de ce qui est fabriqué. Les visites surprises dans des sites de production situés à quelques milliers de kilomètres ne sont en effet pas faciles à organiser ni à répéter régulièrement… Qu’à cela ne tienne, d’autres entreprises encore proposent désormais d’opérer ces visites, ces contrôle, à la place de l’entreprise acheteuse. Drôle d’époque où l’on remplace des emplois de production par des emplois de contrôle, de vérification, lorsque ce n’est pas de police lorsqu’il s’agit de canaliser la mauvaise humeur de ceux qui, précisément, ont perdu leur emploi.
Après tout, si ce type de services permettait aux plus démunis de faire leurs emplettes au meilleur coût, s’il suffisait qu’ils commandent sur Internet et importent ce dont ils ont besoin, pourquoi pas. Gageons malheureusement que les marques qui font elles-mêmes leurs courses dans ces pays pour apposer ensuite leur griffe sur des produits génériques ou encore les enseignes de la grande distribution feraient des pieds et des mains pour que cela n’arrivent jamais. Pas question de tuer la poule aux œufs d’or. Qu’ils se rassurent, les immenses usines, chinoises en particulier, n’acceptent pas de commande en dessous d’un certain montant, que les particuliers, surtout les plus modestes, auraient quelque difficulté à atteindre. A moins peut-être de mettre en place des commandes groupées de grande envergure !

Et demain ?
Les intermédiaires de tout poil – dénicheurs de fournisseurs, inspecteurs, contrôleurs, affréteurs, transporteurs, compagnies pétrolières, grandes marques, distributeurs… – ont donc encore de beaux jours devant eux. Pourtant, les marges prises à chaque étape couplées à la hausse des coûts dans les pays producteurs ne vont-elles pas finir, à terme, par rendre les produits importés moins compétitifs. Qu’adviendra-t-il alors ? Avec un peu de chance, les revenus dans les pays occidentaux – pour ceux qui auront encore un travail – pourront enfin augmenter, puisqu’ils semblent être désormais indexés sur ceux des pays à bas coûts. Plus largement, les producteurs français et occidentaux auront pour l’essentiel disparu, et avec eux les savoir-faire. Les consommateurs n’auront d’autres choix que d’acheter ces produits « exotiques » à des tarifs finalement équivalents à ceux qu’ils payaient autrefois pour des produits locaux. Ce qui est d’ailleurs très largement déjà le cas aujourd’hui. La contrefaçon, née avec les délocalisations, n’aura plus de raison d’être. Les Chinois, les Indiens ou les Russes auront leurs propres marques réputées, qui bénéficieront en outre des charmes de la nouveauté, de l’originalité. La qualité de leurs produits, grâce à l’énergie déployée jadis par des contrôleurs Occidentaux, sera irréprochable. La production de masse occidentale aura finalement été remplacée par une production de masse extrême-orientale. Les produits des grandes marques françaises, italiennes, britanniques, suédoises se seront banalisés. Ils seront directement concurrencées par ceux des marques asiatiques, produits aux mêmes endroits, qui n’auront rien à leur envier. Au mieux, l’Union européenne possédera-t-elle encore un semblant d’activité industrielle en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne, partout où les entreprises ouest-européennes se seront délocalisées pour produire moins cher…
Peut-être qu’alors, malgré tout, certaines entreprises, certains artisans, en France, en Italie, en Allemagne, au Japon, amoureux de leurs métiers, auront-ils réussi à survivre. Ils seront alors les seuls vrais dépositaires de savoir-faire que la majorité de leurs concurrents auront gaspillés et sacrifiés au nom de la contraction des coûts et de son pendant, l’augmentation des marges bénéficiares.