Le fabricant de lunettes Cébé est né en 1892, à Morez, dans le Jura. L’entreprise s’est développée jusqu’à devenir l’un des leaders mondiaux de la lunette de sport, du ski en particulier. Dans cette discipline, les meilleurs tricolores, à commencer J.-C. Killy, ont tous porté les modèles de cette marque. Après les années fastes est arrivée la « déferlante italienne », des groupes comme Luxxotica, Safilo et Marcolin – les leaders mondiaux du secteur – inondant le marché de lunettes « tendance », portant la griffe de grands noms de la mode, fabriquées sous licences en Italie ou en Asie.
C’est précisément un de ces trois géants qui « vola au secours » de Cébé en rachetant l’entreprise en 1999. Malgré la richesse de son catalogue – Mont Blanc, Tom Ford, Hogan, Miss Sixty, etc. -, le groupe Italien souffrait en effet d’une faiblesse : la lunette de sport. Grâce à Cébé et à sa réputation, Marcolin entrait sur ce marché par la grande porte. En guise de sauvetage, ce rachat s’est malheureusement soldé par un dépeçage simple de l’entreprise jurassienne. Après avoir délocalisé une partie de la production des lunettes en Italie et en Chine, Marcolin décida finalement de cesser toute activité industrielle en France, en arrêtant la fabrication des masques de ski à la fin de l’année 2007.
Dernier épisode en date : l’annonce, récente, de la vente de la marque – puisque, pour faire simple, il ne reste plus que cela – à l’Américain Bushnell. Est-ce une bonne chose pour Cébé ? Probablement pas puisque le « fabricant » américain a fait avec Bollé ce que Marcolin a fait avec Cébé. Petite nuance cependant : il semblerait que si la fabrication des masques et des lunettes Bollé se fait désormais en Chine, celle des verres soit encore française – pour l’instant – , ce pour des questions de technicité.
Que reste-t-il après ces multiples achats, restructurations, délocalisations, reventes, etc. ? Deux multinationales, Marcolin et Bushnell, dont l’objectif principal est de faire grossir leur portefeuille de marques, et accessoirement celui de leurs actionnaires. Deux entreprises, Cébé et Bollé, plus que centenaires, détentrices de savoir-faire réputés, bénéficiant d’images de marque très fortes auprès du public, vidées de leur substance au point de ne plus être, ou presque, que des noms… Deux entreprises autrefois concurrentes, dépendant désormais des mêmes intérêts financiers, et qui ont toutes les chances de voir leurs modèles fabriquer à l’avenir dans la même usine chinoise. Une région, le Jura, dépouillée progressivement de ses savoir-faire. Des ouvriers, des techniciens et des ingénieurs, privés de leur emploi et de leurs moyens de subsistance. Mais aussi, ne les oublions pas, une poignée d’actionnaires satisfaits… Elle est pas belle la mondialisation heureuse ?