© Inhabitat

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L’augmentation du prix du pĂ©trole et Ă  moyen terme la disparition des Ă©nergies fossiles devait, pour les plus optimistes, permettre de ralentir les dĂ©localisations, voire de les stopper… Quel intĂ©rĂªt en effet de produire dans des pays Ă  bas coĂ»ts si les coĂ»ts de transport deviennent prohibitifs ? La nature, en tarissant les puits de pĂ©trole, allait finalement rĂ©gler un des principaux maux de la mondialisation.
Las ! Ce n’est pas le modèle Ă©conomique existant qui va Ăªtre repensĂ©, mais celui des moyens de transport. Alors que des lignes classiques sont dĂ©jĂ  exploitĂ©es, les projets de LGV se dessinent en effet entre l’Est et l’Ouest. Et il ne s’agit pas de relier l’Alsace Ă  la Bretagne, mais la Chine Ă  l’Europe. Dominique Bussereau, secrĂ©taire d’Etat chargĂ© des Transports, l’a d’ailleurs confirmĂ© sur France Culture, le 9 octobre 2010, lors des Rendez-vous des politiques. Selon lui, les autoritĂ©s planifient la construction des lignes Ă  grande vitesse entre l’Europe et la Chine, cela pour transporter plus rapidement les marchandises Ă  travers la Russie et le Kazakhstan. GrĂ¢ce au train, les dĂ©localisateurs pourront donc Ă  l’avenir rapatrier vite fait bien fait leurs marchandises chinoises, les dĂ©lais Ă©tant un des principaux problèmes auxquels ils sont confrontĂ©s. Ils pourront en outre se dĂ©barrasser de l’inconfortable habit de pollueurs, puisque cela se fera sans brĂ»ler de pĂ©trole. Tout bĂ©nef…

Hier conquĂ©rant, aujourd’hui protectionniste
On devine aisĂ©ment les visionnaires de la SNCF et d’Alstom, les uns dessinant dĂ©jĂ  leur rĂ©seau Ă  l’infini, les autres imaginant leurs TGV traverser les frontières d’ExtrĂªme-Orient, se chargeant au passage de t-shirts, de sacs ou de jouets chinois, de manteaux ukrainiens ou slovaques, de Renault russes ou roumaines, etc. Le rĂªve… Sauf qu’Ă  l’autre bout de la ligne, d’autres visionnaires planifient de construire des lignes chinoises (article en anglais, dĂ©solé…), sur lesquelles circulera du matĂ©riel chinois.
Après avoir consciencieusement transmis leur technologie Ă  la Chine pour s’ouvrir les portes d’un hypothĂ©tique marchĂ©, les industriels europĂ©ens ont la mauvaise surprise, non seulement de voir ces portes se refermer, mais encore de contempler les trains made in China les concurrencer partout dans le monde. Devant ce nouveau pĂ©ril, les apprentis sorciers essaient Ă  prĂ©sent d’Ă©teindre le feu en prĂ´nant la coopĂ©ration europĂ©enne. La rĂ©cente dĂ©cision d’Eurostar de choisir Siemens plutĂ´t qu’Alstom ne va pas vraiment dans ce sens. Les responsables du constructeur français en sont aujourd’hui rĂ©duits Ă  demander le boycott des trains chinois ! Ou comment passer en peu de temps du statut de conquĂ©rant Ă  celui de protectionniste apeuré… On attend dĂ©sormais le mĂªme processus dans les airs, lorsque des Airbus chinois rebaptisĂ©s viendront tailler des croupières aux appareils assemblĂ©s en France, Allemagne et en Grande-Bretagne.

MĂ©moire courte
Un poil suffisante, l’Europe semble avoir oubliĂ© la lĂ©gendaire route de la soie, par laquelle elle importait jadis les prĂ©cieuses marchandises asiatiques, qu’elle Ă©tait elle-mĂªme incapable de produire. Les Chinois s’apprĂªtent Ă  la rebĂ¢tir, refermant un peu plus encore la parenthèse de la domination occidentale, qu’ils considèrent comme le « siècle de la honte ».
BientĂ´t le monde retrouvera la physionomie qui fut la sienne avant les XVIII-XIXes siècles*, lorsque l’Asie dominait. On oublie trop souvent que pendant que l’Europe guerroyait joyeusement, que la noble chevalerie française se faisait tailler en pièces Ă  Azincourt par des manants anglais, agenouillĂ©s et armĂ©s seulement d’arcs et de flèches, la Chine et l’Inde inventaient, produisaient, commerçaient. Ces deux immenses pays reprĂ©sentaient alors la moitiĂ© du PIB mondial…
C’est pour demain, et Dieu sait que nos « cerveaux » financiers, industriels et politiques auront mis tout leur gĂ©nie pour qu’il en soit ainsi.

* Cf. L’Histoire Ă©conomique globale, de Philippe Norel, Ă©ditions du Seuil.