« Chacun son métier »… C’est en résumé ce qu’a dit Mme Lagarde, l’actuelle ministre de l’Economie française, à propos d’Eric Cantona et de son idée de retirer, tous, notre argent des banques pour nous faire entendre. « Il y en a qui jouent magnifiquement au football, je ne m’y risquerai pas. Je crois qu’il faut intervenir chacun dans sa compétence », a ainsi expliqué la ministre, avant de poursuivre : il « n’est pas à une provocation près. C’est un immense footballeur. Je ne suis pas sûre qu’il faille le suivre dans toutes ses suggestions non plus. » Eric Cantona n’a jamais provoqué pour provoquer. C’est avant tout un rebelle, qui n’accepte pas l’autorité si elle est injuste, et qui assume ses choix. C’est l’antithèse de celui qui se glisse dans un moule pour y faire carrière. Il est probable que lors du fameux match France-Irlande, s’il avait marqué de la main comme Thierry Henry, il l’aurait avoué. La France n’aurait pas été en Afrique du Sud, il aurait été critiqué de toutes parts, pour les énormes intérêts économiques qu’il aurait accepté de sacrifier pour une certaine éthique. On sait à présent ce qu’il est advenu Afrique du Sud…
En Angleterre, Eric Cantona est le King, le Français par excellence, la « grande gueule » talentueuse qui ne courbe pas l’échine. Le public anglais entonne la Marseillaise lorsqu’il assiste, dans les tribunes, à un match de son ancien club, Manchester United. Mme Lagarde a quant à elle reçu le prix de La Carpette anglaise, qui distingue quiconque a marqué un zèle particulier à promouvoir la domination de l’anglais en France — elle communiquerait en anglais avec ses propres équipes — et dans les institutions européennes, au détriment de la langue française. D’un côté, on fête le talent, la résistance et l’insoumission, de l’autre l’obéissance et la soumission à l’ordre établi, au modèle anglo-saxon.
Le pouvoir des humbles
Retirer l’argent des banques, donc… Chacun sait en effet que si tout le monde décidait de vider son compte, les banques se trouveraient bien ennuyées, et l’ensemble du système avec elles. Celles-là n’existent en effet que par ce que les particuliers leur prêtent leur argent. C’est probablement pour les en remercier qu’elles leur font d’ailleurs payer toutes sortes de frais… Lorsque qu’un vulgum pecus confie 10 euros à une banque, celle-là peut en prêter 80 à d’autres clients et, ce qui n’est pas négligeable, percevoir des intérêts sur ces 80 euros virtuels*. Cela permet à l’économie de fonctionner et tout le monde peut finalement profiter de ce système. Sauf lorsque l’argent récolté ne sert plus à irriguer l’économie, mais à spéculer, à faire de l’argent pour l’argent. Les banques sont fragiles, presque autant que le système mis en place par Bernard Madoff. Malheureusement, si la chute du financier américain a eu pour conséquence de ruiner quelques millionnaires — eux seuls avaient accès aux rendements mirifiques annoncés—, celle du système bancaire français n’épargnerait pas les plus modestes. Cependant, rappeler le pouvoir que chacun a, par sa consommation quotidienne ou vis-à-vis des banques comme l’a fait Cantona, est important et salutaire.
Les affaires ou l’Etat
Pour ce qui est des compétences invoquées par Mme Lagarde, c’est à voir. Celle-ci est avant tout une avocate d’affaires, qui a fait carrière aux Etats-Unis. Cela lui donne-t-il nécessairement les compétences pour gérer l’économie de l’Hexagone ? Si l’on en croit ses échecs préalables et successifs pour intégrer l’ENA, il est permis d’en douter…
En 2009, Looking for Eric, de Ken Loach, sortait sur les écrans français. Dans ce film, l’ancien footballeur joue de son personnage pour illustrer le pouvoir de révolte et de résistance des plus humbles. La même année, Christine Lagarde était classée 17e dans la liste des femmes les plus influentes de la planète établie par le magazine Forbes. Elle était même 5e dans celle des femmes d’affaires européennes dressée par le Wall Street Journal Europe. La ministre est célébrée non pas comme femme d’Etat, mais comme femme d’affaires. Faut-il s’en réjouir ? Quant à Cantona, il y a bien longtemps qu’il n’est plus un simple ex-joueur de foot. C’est une icône pour beaucoup. Lequel des deux est-il le plus légitime pour parler au peuple ?
* On peut lire à ce sujet L’Argent, mode d’emploi, de Paul Jorion, publié chez Fayard
Ce qui est quand même amusant (quoique!) c’est que Cantona n’a pas vraiment lancé un appel pour ça, apparemment c’est une phrase tiré d’une discussion, qui reprise et mise en scène par des tiers, devient hors de proportion!
Au delà du problème des banques, c’est révélateur du problème des médias, d’internet, et des proportions que peuvent prendre une discussion de comptoir!!! Sur ce coup ça passe encore, mais ça pourrait être pire… et c’est à craindre!
@ Mireille Urbain
Les banques ont évidemment tout prévu, ce qui est somme toute assez normal. Mais quand bien même tout le monde ne pourrait-il pas retirer son argent le même jour, le système serait malgré tout dans un bien triste état si un nombre important de clients retiraient son argent sur une semaine, dix jours, un mois…
La suggestion de Cantona d’aller par millions retirer tous ses avoirs dans les banques apparait, à première vue, être l’oeuf de Colomb. Mais, au-delà des conséquences pour les plus humbles, sa réalisation rencontrerait un obstacle majeur: les banques n’ont pas les provisions nécessaires pour répondre aux demandes de retraits importants ou totaux de milliers de clients. Alors des millions!…Devant les refus rencontrés obligatoirement, un affolement, puis des émeutes avec tous leurs débordements se produiraient tout aussi obligatoirement. Pour le « zéro » trouble social, ce serait raté. De plus, le refus des banques les protégeraient de l’effondrement et des faillites. Anecdote: il y a une dizaine d’années, il me fallait disposer sous 24h de 20 000 F (3048,98 € aujourd’hui) que je possédais sur un livret A. Réponse du banquier: « Impossible, nous ne disposons pas des fonds. J’enregistre votre demande et revenez dans 3 jours ». Lorsque les clients des banques (et nous le sommes tous, les salaires et pensions n’étant plus jamais versés en espèces comme je l’ai connu quand j’ai commencé à travailler) comprendront que l’argent sur le compte est en fait virtuel et qu’ils ne peuvent en disposer à leur gré au moment décidé par eux, peut-être accepteront-ils l’idée que le système est mauvais et seront-ils prêts à en changer. Mais pas avant. En ceci, l’idée de Cantona pourrait servir de révélateur auprès des masses inconscientes.