Tout va décidément à vau-l’eau ! Réchauffement climatique, crise économique et financière, banqueroute annoncée des pays les plus riches, révoltes dans les pays arabes, hausse du prix pétrole avant son extinction totale, spéculations de tous ordres, nature qui se déchaîne, etc. La catastrophe qui frappe actuellement le Japon résume à elle seule la fragilité du monde actuel, en particulier celle des pays riches.
En l’espace de quelques semaines, deux tremblements de terre ont montré que même les sociétés les plus développées — en l’occurrence la Nouvelle-Zélande et le Japon — ne peuvent rien contre les forces de la nature. Certes, les conséquences des secousses sismiques ont été moins dévastatrices dans ces deux pays qu’à Haïti. Des villes entières ont en revanche été rayées de la carte par le tsunami, comme en 2004 en Thaïlande, en Indonésie et en Malaisie.
Comme si ces énormes coups de boutoir de la planète ne suffisaient pas au malheur du Japon, le pays doit désormais faire face à la menace nucléaire. Et pour le coup, l’homme en est le seul responsable. Les destructions dues au tremblement de terre et au tsunami seront finalement réparées et effacées par le temps. L’homme reconstruira, ceux qui ont perdu leurs proches apprendront à vivre sans eux. Les populations reprendront possession des terres dévastées. Mais qu’adviendra-t-il demain si des explosions nucléaires se produisent dans les centrales nucléaires japonaises ? Combien de personnes en seront-elles victimes ? Un nuage parcourt paraît-il le tour de la terre en une dizaine de jours… Et combien de temps ces contaminations menaceront-elles la santé des populations ?
Il sera toujours possible, pour les autorités qui ont fait le choix de l’atome, de mentir sur les origines des décès à venir, d’invoquer des raisons autres que les radiations.

En France, tout va bien
Les responsables japonais ont reconnu, lundi 14 mars, que le combustible avait fondu dans deux réacteurs et que la situation y était incontrôlable. Le 15, le Premier ministre japonais demandait à ses concitoyens de ne plus sortir de leur domicile. Autrement dit, tout peut arriver…
En France, mais aussi dans d’autres pays, les opposants au nucléaire tentent de saisir cette occasion malheureuse pour rappeler que l’énergie nucléaire est terriblement dangereuse et que, en cas de circonstances extraordinaires — toujours possibles — nous ne la maîtrisons pas. Pas plus d’ailleurs que nous ne maîtrisons le traitement des déchets radioactifs… Ils réclament qu’un véritable débat, voire un référendum, soit organisé sur cette question. La seule réponse qu’ils obtiennent est qu’ « ils devraient avoir honte de profiter du malheur des autres pour essayer de faire avancer leurs idées ».
Forcément, celles et ceux qui, avec la fin annoncée du pétrole et du gaz, pensaient enfin venue l’heure du nucléaire tout puissant se défendent. Eux qui espéraient parsemer la planète de centrales nucléaires construites par Areva — y compris dans des pays où il n’y a pas d’eau, ou presque ! — ne vont pas laisser leurs lucratifs projets remis en cause pour quelques fuites japonaises… Car ce qui arrive ailleurs ne peut bien sûr pas arriver chez nous. Le plus haut responsable du CEA déclarait à la télévision, ce même 14 mars, que nos centrales à nous, FRANÇAIS, sont parfaitement préparées pour résister à des catastrophes analogues à celles qui frappent le Japon. Tout le monde sait que nos centrales sont les meilleures, les plus solides, etc. Les Finlandais sont-ils toujours de cet avis ? Les incidents dans les centrales françaises sont pourtant fréquents, notamment des problèmes de refroidissement. Sans doute attend-on un accident gravissime dans la centrale la plus proche de Paris…
Le réchauffement climatique, la fin des énergies fossiles et donc les hausses inévitables de leurs prix, les dangers que représente le nucléaire — sans oublier les réserves limitées de l’uranium — sont des faits. A quoi bon les nier ? Comment vivrons-nous demain sans pétrole, gaz ni énergie nucléaire ? Pour beaucoup, la fin de l’énergie abondante et bon marché signifie le retour au Moyen-Age ou, au mieux, au début du XIXe siècle. Après la lumière du XXe se profilerait l’obscurité des temps arriérés. Et pourquoi cela ?
Pourquoi au contraire un monde dépollué, sans pesticides, particules, CO2 ni radiations serait-il pis que celui d’aujourd’hui ? Pour figurer les réserves de pétrole, on nous présente généralement une courbe en cloche. Au sommet, l’âge d’or — l’abondance —, située grosso-modo de 1970 à 2000. Puis ensuite une longue descente vers l’enfer, la bougie et la draisienne, au fur et au mesure que les réserves de pétrole s’amenuisent…
Dans son Manuel de Transition*, récemment traduit en français, Bob Hopkins propose une autre vision de l’âge du pétrole : celle d’une fosse, noire et nauséabonde, au fond de laquelle nous serions depuis une quarantaine d’années. Et c’est selon lui aujourd’hui qu’il faut commencer à sortir la tête de la vase, à remonter la pente et à regagner la surface et l’air libre. Présentées de cette façon, la perspective de l’après-pétrole est beaucoup moins inquiétante.

Préparer l’après-pétrole et l’après-uranium
Cette transition ne sera pas simple, puisque notre monde actuel repose presque intégralement sur le pétrole. S’y préparer le plus rapidement possible est donc un impératif. Rien n’a été pensé pour remplacer cette énergie, dont les réserves sont pourtant limitées. Et si, malgré les dangers encourus, tous les pays faisaient le choix du nucléaire pour remplacer le pétrole, l’approvisionnement en combustible poserait rapidement de graves problèmes, en Europe en particulier. Pas vraiment une solution d’avenir.
Le soleil, le vent, la mer sont en revanche des sources intarissables d’énergies. Les déchets, que l’on produit chaque jour, la biomasse, sont eux aussi des sources potentielles d’énergie.
Ce que dénonce particulièrement le Manuel de Transition, c’est le manque total de résilience de nos sociétés modernes. Leur incapacité à faire le gros dos, attendre que cela passe… Les femmes et les hommes de nos pays, et particulièrement les citadins, sont incapables de se nourrir, de s’éclairer, de se chauffer de manière autonome. Tous sont intégralement dépendants de leur magasin d’alimentation, de leur fournisseur de gaz et d’électricité, de leur station service, etc. Sans parler bien sûr de leur employeur et de leur banques sans lesquels ils sont incapables d’acheter quoi que ce soit. Notre modèle de société développée est incroyablement artificiel et fragile. Les Japonais commencent à manquer de produits de première nécessité, d’électricité, de carburant. Ils ressortent leur vélo pour aller travailler…
Notre vie quotidienne ne serait-elle pas meilleure si de petits fournisseurs d’énergies propres se trouvaient à proximité de chaque ville ou village, ou si chaque maison était énergiquement autonome ? Si nos aliments étaient tous produits à proximité ? Si la fabrication de nos produits de consommation quotidienne était relocalisée ? Si des emplois étaient à nouveaux créés juste à côté de notre lieu de résidence ? Si les campagnes étaient petit à petit réinvesties par la population et si, en contrepartie, les agglomérations se décongestionnaient ?
Certes il ne serait peut-être plus possible de manger des fraises en hiver ni de partir passer une semaine au soleil de l’autre côté de la Méditerranée, dans un hôtel-usine à touristes… Et alors ? Peut-être après tout n’éprouverions-nous plus le besoin de décompresser et de « compenser » la tristesse de nos vies quotidiennes.
Malheureusement, pour que cette transition vers un monde meilleur se fasse un jour, il ne faudra pas compter sur ceux qui profitent le plus de celui d’aujourd’hui. Ils ne lâcheront pas facilement ce qui les a faits rois. Il faudra au contraire, pour reprendre la métaphore du colibri, que chacun fasse sa part. Et finalement, être acteur et non plus spectateur de sa vie, c’est plutôt réjouissant comme perspective.

* Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à le résilience locale ; Rob Hopkins, aux Editions Ecosociété.