Il y a des sujets qui fâchent, même les meilleurs amis. Le nucléaire est l’un d’eux. L’immobilier aussi.
Comme le confiait un jour un professionnel de l’immobilier, qui enseigne également cette spécialité, « l’achat d’un appartement, d’une maison, n’est pas rationnel. C’est un acte psychologique, comme si cela se permettait de se prémunir contre la mort ». Avant d’ajouter :  « Mais il n’a jamais été prouvé qu’il est plus rentable d’acheter que de louer! ».
Début 2011, les principaux médias affirment, en relayant l’avis des experts les plus éminents, que les prix de l’immobilier vont encore grimper. Normal, puisqu’il manque des dizaines de milliers d’appartements, que les étrangers du monde entier n’aspirent qu’à investir dans notre beau pays et que les taux d’intérêt sont encore très bas. Les autorités, dans le même temps, continuent de promouvoir leur fameux « pays de propriétaires », en mettant en place nombre d’outils — dispositifs de défiscalisation, PTZ et PTZ+, etc. — censés compenser la hausse des prix et celle, éventuelle et légère, des taux. Bref, même à 8 000 euros le m2 à Paris, acheter ses murs est toujours l’investissement roi, celui qui vaccine contre tout.

Bulle ou pas bulle ?
D’aucuns affirment pourtant, et depuis des années, que cette augmentation des prix est dangereuse, artificielle et totalement déconnectée des réalités économiques du moment. Qu’en outre toutes les « facilités » mises en place par les pouvoirs publics pour soutenir le bâtiment ne font que nourrir la flambée des prix. Bref, qu’il y a bulle immobilière, et qu’elle ne demande qu’une chose : éclater. Ces arguments, les professionnels de l’immobilier et leurs zélotes les balaient d’un revers de main, présentant pour toute réponse les chiffres de l’année 2010 : + 9,2 % en France; + 17,5 % à Paris. C’est bien simple, pour Michel Mouillart, l’expert des experts, de ceux qui imbibent de leur savoir les grands médias dans leur ensemble, le marché immobilier français « est certainement l’un des marchés les plus sains d’Europe ». Et d’ajouter que, dans notre bel Hexagone, « les acheteurs et les financeurs font preuve d’une maturité que l’on trouve rarement dans les autres pays. »
Pourtant, si l’on en croit le journal The Economist, le marché français de l’immobilier serait le 3e le plus surévalué (+ 48 %) au monde. Ainsi donc, selon la médisante et francophobe presse anglo-saxonne, notre sain marché français ne vaudrait grosso modo que la moitié de ce qu’il prétend valoir ! D’ailleurs, ces mêmes spécialistes qui, hier encore, chantaient les louages de la pierre française, commencent à réviser leur jugement. Ainsi le Centre d’Analyse Stratégique, organisme rattaché au Premier Ministre, qui estime que l’augmentation des prix de l’immobilier s’apparente sans doute à une bulle et qu’il y a une déconnexion entre les prix des logements et les salaires des ménages (ah, vous aussi, vous aviez remarqué ?). Sur les trente dernières années, les premiers ont en effet plus que doublé pendant que les seconds augmentaient de 30 % seulement. Ces analystes avancent même que 50 à 60 % de la hausse des prix seraient dus à une fiscalité attrayante, aux nombreuses aides à l’achat, aux prêts à taux zéro, aux dispositifs d’investissement locatif (Scellier) et à l’allongement de la durée des crédits. Une véritable révélation, aussi soudaine qu’étonnante…

Exigence et professionnalisme
De quoi sera fait demain ? Que vont devenir les propriétaires qui, ces dernières années, ont investi massivement dans l’immobilier, placement sûr par excellence, cela pour 20, 25, 30 ans ? Peut-être ont-ils eu raison. Peut-être n’auront-ils jamais de mauvaise surprise et qu’ils pourront jouir, tranquillement, de leur logement. Mais peut-être pas.
Dans un article publié dans l’Express en 1998, il est écrit que, « quelle que soit la demande, les Français, qui se sont rabibochés avec la pierre, n’ont pas, pour autant, oublié la cuisante leçon de la crise de 1990. Certains y ont en effet perdu près de 40% de la valeur de leur bien. Devenus plus exigeants et professionnels, ils ne cèdent plus jamais aux coups de cœur. Et ne sont pas prêts à s’emballer pour un achat qui, malgré tout, engage toujours beaucoup leur avenir. » C’est beau comme du Mouillart. Il y a treize ans donc, l’exigence et le professionnalisme des acheteurs français devaient, déjà, nous protéger contre toute nouvelle grimpette ds prix. En 1998, il fallait 366 000 euros (2,4 millions de francs) pour acquérir 139 m2 à rénover dans le 9e arrondissement de Paris. Il en faut aujourd’hui trois fois plus, soit 1,2 million d’euros (7,9 millions de francs). Raté !