La pression sur les prix exercée par les Chinois, les Tunisiens, les Roumains ou les Martiens n’est qu’un prétexte. Ce qui compte avant tout, ce sont les décisions des chefs d’entreprise. Pour preuve, celles prises par certains d’entre eux dans des contextes économiques analogues.
Prenons le cas Lejaby. Le tribunal de commerce de Lyon a décidé qu’il était préférable de fermer le dernier atelier français de l’entreprise. Le nouveau propriétaire, un certain Alain Prost, a affirmé, la mort dans l’âme, qu’il n’était pas possible de faire autrement. Comment pouvait-il en être autrement alors qu’un de ses associés n’est autre que le sous-traitant qui fabrique en Tunisie l’essentiel de la production Lejaby ?
Au moins ne sera-t-il plus possible demain de prétendre qu’une partie de la lingerie maison est encore made in France. Plus de doute possible, Lejaby est désormais officiellement tunisienne. Rassurons-nous, cela n’empêchera pas l’entreprise d’afficher haut et fort l’héritage et le savoir-faire français, comme le font d’ailleurs tous ses concurrents qui ont, eux aussi, traversé la Méditerranée.
Plus à l’Ouest — en Dordogne — et rayon chaussures, l’entreprise Repetto a elle aussi été reprise, il y a plus de dix ans. L’emblème du chausson de danse était alors en bien mauvaise santé. Depuis la reprise en main par Jean-Marc Gaucher, tout va bien. L’emploi et le savoir-faire ont été sauvés. Mieux, la direction envisage de multiplier la production française * par trois au cours des quatre prochaines années et d’embaucher 150 personnes. Soutenue financièrement par le Conseil régional d’Aquitaine, Repetto a même inauguré sa propre école : à la fin de l’année 2012, celle-ci sera hébergée dans les locaux agrandis de l’entreprise. Il s’agit pour Repetto de former les futures salariés à la technique propre à Repetto, le fameux cousu-retourné, avant de les mettre au travail.
Une drôle d’idée, sans doute irrationnelle pour Alain Prost et Cie. A quoi bon en effet former des salariés pour les embaucher ensuite, en France qui plus est, alors qu’il est possible de s’offrir à vil prix un régiment de jeunes et dociles ouvrières tunisiennes ?
Certains objecteront peut-être que Repetto évolue dans une « niche » haut de gamme et que la concurrence y est moins forte. Outre que rien n’empêchait les repreneurs de Lejaby de faire le même choix en misant sur le made in France plutôt que sur la production de masse à bas coûts, cette explication ne tient pas. Souvenons-nous en effet des chaussettes Bleu Forêt, intégralement fabriquées en France, qui une dizaine d’années seulement après leur apparition sur le marché ont fini par absorber les chaussettes Olympia, pourtant beaucoup plus nombreuses et fabriquées en Roumanie. La chaussette, un produit de luxe, confidentiel, réservé aux plus fortunés ?

*Les modèles qui ne sont pas fabriqués selon la technique du cousu-retourné propre à Repetto sont fabriqués ailleurs, comme la maroquinerie.

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