Le Comité Colbert se fâche ! Ce groupement de grandes maisons françaises — 75 au total —, créé dans les années 1950 par M. Guerlain, vient de lancer une nouvelle campagne d’affichage pour sensibiliser les consommateurs aux riques de la contrefaçon. Sur ces affiches, un téléphone portable, un sac ou encore une montre avec, à chaque fois, un slogan menaçant. Exemple : « Fausse Cartier, vrai casier. N’achetez pas de contrefaçon. En France, la loi prévoit jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison. »
Selon Elisateth Ponsolle des Portes, la déléguée générale du Comité, la contrefaçon aurait déjà coûté de 30 à 40 000 emplois et généré un manque à gagner de 6 milliards pour l’Hexagone. En 1994, 200 000 copies avaient été saisies par les douanes françaises ; en 2011, ce chiffre a bondi à plus de 9 millions, à 95% d’origine chinoise. Bref, la Chine menace le luxe français, qui menace en retour les consommateurs. Pourtant, combien de ces maisons prestigieuses ont-elles à un moment succombé au charme de l’Asie, au point d’y transférer tout ou partie de leur production ou d’y trouver des fournisseurs ? Quel est le pourcentage de produits Lacoste ou Bonpoint aujourd’hui fabriqués en France ? Et quand un modèle de sac Longchamp, commercialisé dans le réseau officiel de la marque, est indifféremment fabriqué en France — c’est de plus en plus rare —, à Maurice ou en Chine, et est bien sûr vendu au même tarif, les consommateurs n’ont-ils pas quelques raisons, eux aussi, de se sentir abusés ?
La croisade du Comité Colbert est motivée paraît-il par la sauvegarde, voire la création d’emplois en France.  Il s’agirait de défendre coûte que coûte le made in France. Laissons de côté les traditionnels Hermès, Vuitton ou Chanel, qui développent réellement leur outil de production en France ou rachètent des ateliers pour ne pas les voir disparaître… Combien d’emplois productifs les autres membres du Comité Colbert ont-ils créés en France ces dernières années ? A l’inverse, quel est le total de ceux qu’ils ont contribué à détruire en substituant un sous-traitant asiatique, nord-africain ou est-européen à leur habituel partenaire français ? Combien de petits ateliers de luxe ont aujourd’hui disparu, faute de commandes des grandes maisons ?
Le textile n’est pas le seul secteur concerné : certains se souviennent peut-être d’un reportage d’Envoyé Spécial — auquel La Fabrique hexagonale avait d’ailleurs participé —, diffusé il y a deux ans environ, où l’on apprenait que des assiettes « vierges » arrivaient discrètement d’Asie avant d’être simplement décorées, à Limoges, par les petites mains de Bernardaud, un des membres du Comité Colbert. S’agissait-il alors de contrefaçon ou de tromperie sur la marchandise ?
D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, en 2009, Elisabeth Ponsolle des Portes s’en prenait à celles et ceux qui critiquaient les délocalisations. « Est-ce qu’on demande à Renault où ses voitures sont fabriquées ? », s’insurgeait-elle dans un article du Monde (l’article n’est plus en ligne, mais a été repris et conservé ici).
Pendant des années, nombre d’entreprises délocalisatrices ont répété que le prestige et l’authenticité d’une marque ne tenaient pas au pays de fabrication de ses collections, mais au génie créatif d’un designer, au marketing, au glamour des stars ambassadrices, à l’imaginaire, au rêve… Les consommateurs ont fini par intégrer cette vision. Parmi eux, certains refusent désormais de payer le prix fort pour un pseudo-luxe français fabriqué ailleurs, très loin. Puisque c’est la griffe qui compte, peu importe après tout ce sur quoi elle est apposée. Et peu importe le réseau de distribution ou la qualité de l’emballage…