Sur l’écran, un navire énorme, menaçant. Une masse sombre et monstrueuse où l’on distingue des conteneurs empilés par centaines. A côté du nom du bateau — le Lapérouse notamment, dont il est question ici —, un deuxième, CMA-CGM, que l’on retrouve sur la coque d’autres cargos qui se succèdent à l’entrée du port. Ces six lettres sont celles d’une entreprise française, un des principaux transporteurs mondiaux de marchandises. Une activité fort lucrative — sauf quand le commerce international ralentit — qui profite à la compagnie, à ses actionnaires ou aux ports du Havre et de Marseille, les plus importants de l’Hexagone.
Dans son dernier film, Lucas Belvaux ne parle pourtant ni du transport de marchandises ni de mondialisation. 38 Témoins relate l’histoire vraie — elle s’est déroulée aux Etats-Unis au début des années 1960 — de 38 personnes qui, bien qu’ayant entendu les cris d’une jeune femme assassinée sous leurs fenêtres, n’ont rien fait pour lui venir en aide. Par égoïsme ou par peur. Parce qu’ils pensaient qu’intervenir ne servirait à rien, qu’il était de toute façon trop tard. Tous disent à la police ne rien avoir entendu. Tous sauf un, un pilote du port du Havre. 38 Témoins traite de l’indifférence des hommes, de leur lâcheté, de leur incapacité à troubler leur confort et leur tranquillité. Même pour sauver une vie.
Mais en choisissant le port du Havre comme décor, en filmant longuement les porte-conteneurs, le réalisateur met aussi en lumière une autre couardise : celle d’une ville, d’une région, de quelques entreprises, de milliers de femmes et d’hommes qui tirent profit de la mondialisation et de la mise à mort de l’économie locale. Ainsi les deux principaux protagonistes du film : le premier, pilote donc, « conduit » les navires de 300 mètres de long à l’intérieur du port. Sans lui, les pachydermes resteraient plantés au large, incapables de vomir sur les côtes de l’Hexagone les tonnes de camelote ingurgitées en Asie et ailleurs. L’autre, sa compagne, négocie avec les entreprises qui doivent rapatrier en France ce qu’elles ont acheté ou fait fabriquer ailleurs. Tous deux vivent confortablement de ce commerce mondial, quelles qu’en soient ses conséquences. Et contrairement aux 37 autres, eux ne sont déjà plus de simples témoins.